Le droit des femmes enceintes aux Etats unis

Cet article est fondé principalement sur la publication aux États Unis d’un article concernant les rapports entre les femmes enceintes, l’État fédéral et les états de la fédération. Ces rapports pourraient être décrits comme rapports de force mais ce serait une description incomplète puisque la force ne se situe que du côté des états (ont la capacité de passer des lois indépendamment de l’État Fédéral) et de l’Etat Fédéral.

Quand on parle de droit à l’avortement aux États Unis on se réfère à la fameuse décision de la Court Suprême: Roe versus Wade. Celle-ci est souvent présentée comme une remarquable avancée pour les droits des femmes.

Roe v. Wade repose, entre autre, sur le 14ème amendement qui souligne le droit individuel à l’intimité, « privacy». De plus, la question de la vie du fœtus indépendante de la mère est sous-jacente. Cela permet de penser que le droit de la femme à décider de la poursuite d’une grossesse « n’est pas absolu, et ….est sujet à limitations…l’Etat peut avec raison affirmer l’importance de son intérêt dans la protection de la santé de la mère, ainsi que dans la protection d’une vie potentielle,» et peut repositionner la mère en mère porteuse.

Ainsi, le droit des femmes à contrôler leur fécondité est soumis à la façon dont l’État conçoit la protection de la santé de la mère ainsi que la protection de la vie potentielle celle du fœtus qui se mesure éventuellement par rapport à la mère. Par la suite, en 1977 le « Hyde Amendment » a interdit tout financement fédéral de l’IVG, ce qui intrinsèquement interdit l’accès à l’avortement aux  femmes les plus pauvres et  sanctionne financièrement les autres.

Dans ce contexte où l’accès à l’avortement est limité, et la vie des femmes jaugée par rapport à leur reproduction, la grossesse se devait d’être sous contrôle.

Une étude publiée le 15 janvier 2013 dans le Journal of Health Politics and Law décrit une nouvelle réalité pour les femmes enceintes résidantes des Etats Unis, celle de finir en prison durant une grossesse ou après une fausse couche ou d’avoir un juge qui décide du mode d’accouchement.

Depuis quelques années, les efforts pour donner au fœtus les droits constitutionnels d’une personne ont motivé les lois dites « fœticides » qui ont restreint les droits des femmes à disposer de leurs corps et sont en vigueur dans trente huit états. Ces lois et les arguments pour les justifier ouvrent la porte à toutes sortes d’interventions, dotées une légitimité légale, sur les femmes enceintes au nom de la protection d’un fœtus devenu une personne à part entière.

Les auteures de l’article ont recherché en suivant différentes méthodes les femmes enceintes arrêtées entre 1973 et 2005. Elles soulignent la difficulté rencontrée pour identifier les cas en raison de l’absence de centralisation des dossiers et de la nature élusive des condamnations.  Leur étude recense 413 cas dans 44 Etats et ce nombre est certainement très inférieur au nombre réel de cas.

Elles démontrent combien être une femme enceinte devient risqué en particulier dans les milieux défavorisés. Dans tous les cas, on observe que les droits des femmes sont purement et simplement remis en cause en toute impunité.

Depuis la décision Roe v Wade qui a légalisé l’avortement, les opposants à cette loi se sont attachés à faire du fœtus une personne investie de droits civiques.

Mais qu’est ce qu’être `une personne’ aux États Unis ? Qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord il faut rappeler l’histoire de dénégation de personnalité [personhood]. Ni les populations indigènes ni les esclaves africains, ni les femmes, ni les ouvriers chinois n’étaient des personnes. Cette longue liste engendre une lutte continue. Après tant de souffrances, tant de batailles, tant de campagnes, après la `libération’ des esclaves, que s’est-il passé? Des décennies pendant lesquelles toutes les personnes marquées comme personne de couleur [people of color] n’étaient considérées ni légalement ni politiquement ni dans l’Économie comme des personnes. De même, les femmes n’étaient pas considérées comme des personnes nanties de droits civiques. Ainsi, pour cette raison, le viol conjugal n’était reconnu ni dans la loi ni dans les structures de pouvoir. Pourquoi? Parce que, comme expliqué plus haut, le 14ème amendement souligne le droit individuel à l’intimité, « privacy», mais protégeait aussi la violence du patriarcat du domicile.

Rappelons qu’avec le Hyde Amendment, voté en 1977, cette situation s’est accélérée et intensifiée dans la décennie 1980 – 1990, et perdure. Cela signifie donc que l’attaque contre les femmes, les corps féminins et le corps de femme faisait partie du programme Reaganien. Le Hyde Amendment était comme l’avant-garde du programme contre les services publics. Couper toute possibilité de soutien aux femmes, et spécifiquement aux femmes de couleur, aux femmes de la classe ouvrière, aux femmes étrangères ou simplement `différentes’. Quant à la justification? L’efficacité, la dette, les incohérences économiques, le chômage, peu importait la raison avancée, la cause mère du problème incriminait, tout simplement, les « reines de l’aide sociale », les « welfare queens. » Et cet arrangement s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui où un outil de contrôle supplémentaire a vu le jour puisqu’on a des prisons pour toutes ces femmes.

Parallèlement à l’évolution néolibérale de la société américaine des années 70/80 les théories néoconservatrices ont conduit aux doctrines de fermeté qui ont produit des slogans tel que : « Tough on crime ». Ainsi des attaques corporelles sur des femmes enceintes souvent issues de la classe moyenne ont fourni le prétexte légal pour la formation de lois qui traitent ces agressions comme des attaques sur le fœtus et non exclusivement sur la femme elle-même, dépossédant les femmes d’une partie de leur corps. C’est ainsi que les lois fœticides sont apparues et menacent aujourd’hui l’intégrité des femmes enceintes souvent précarisées.

L’article de Paltrow et Flavin présente en préface cinq situations de femmes enceintes maltraitées, arrêtées et condamnées qui symbolisent les 408 autres cas. Ce qui ressort clairement est que non seulement leurs droits sont abrogés mais aussi qu’elles ont peu de moyens pour se défendre le moment venu. Il faut aussi comprendre qu’être envoyé en prison est lourd de conséquences car les maigres aides sociales sont alors retirées et souvent les droits civiques compromis.  De plus les médecins et personnels soignants sont aussi impliqués dans ces décisions parfois en dénonçant leurs patientes ou en commandant des actions de justice pour imposer leur décision. Aux Etats Unis, il n’y a pas de gratuité pour les accouchements, et n’ayant pas de système de santé public cohérent, les soins peuvent être très coûteux. Toutefois, Medicaid, une aide d’état, offre une couverture pour les femmes enceintes qui se situent au dessous de 133% du seuil de pauvreté. Il s’agit d’une couverture sous condition, les médecins ou centres hospitaliers doivent signer un contrat avec l’administration Medicaid ; ceci engendre un grand nombre de contraintes et de surveillance pour limiter les soins. Quoi qu’il en soit, les décisions médicales ne sont en général guère fondées sur un consensus ou un dialogue patient – médecin.

Prenons pour exemple Laura Pemberton, une femme blanche de Floride en cours de travail. Elle s’est vue refuser le droit de tenter un accouchement par voie basse après une césarienne.  Le médecin l’a trainée devant le juge pour lui imposer une césarienne. La police est allée à son domicile, lui a attaché les jambes (procédure courante aux Etats Unis y compris pour les prisonnières enceintes) et l’a forcée à se rendre à l’hôpital où le juge a ordonné une césarienne au nom de la protection du fœtus. Les Pemberton n’ont pas eu la possibilité d’avoir un conseiller juridique au moment des faits. Après cette césarienne forcée,  Madame Pemberton a eu trois autres enfants par voie vaginale. Ceci n’est pas un cas isolé, et le rapport fait part de situations identiques. Rappelons que nous avons à faire à une logique commerciale de la médecine qui repose sur le nombre d’actes et est aussi assujettie aux procès.

Les politiques néolibérales de ces dernières 40 années ont réduit les aides sociales et les services publics tout en limitant l’accès au travail doté d’un salaire décent « living wage », maintenant un plus grand nombre en situation précaire. Enfin, l’absence de système de santé non seulement limite l’accès à une contraception adéquate pour les femmes de milieux défavorisés mais précarise toute une partie de la société américaine. De plus comme souligné précédemment, les doctrines de fermeté ont menées à l’hyper criminalisation de la drogue tout en laissant à celle ci le rôle d’une économie parallèle présente dans l’environnement d’une population laissée pour compte. Cette population est souvent de couleur mais pas uniquement. Et en effet, l’étude montre que dans 84% des cas la drogue fait partie de l’histoire de ces femmes.

L’article donne quelques exemples édifiants sur la façon dont les futures mères ayant des problèmes de toxicomanie sont traitées même si celles ci souhaitent avoir l’aide du corps médical lors de telles circonstances. Ce fut le cas de  Rachael Lowe une jeune femme de 20 ans enceinte pour la première fois, angoissée par son rapport à la drogue et ses prises d’Oxycontin, elle se rend au Wauskesha Memorial Hospital dans le Wisconsin pour demander de l’aide. Des membres du personnel hospitalier la dénoncent immédiatement aux autorités sous le couvert de la loi « Cocaine Mom » qui permet à l’Etat de garder en détention les femmes enceintes ayant des problèmes d’alcoolisme ou de toxicomanie. A la suite de ces actions, Rachel Lowe fut placée en garde à vue contre son gré dans une unité psychiatrique d’un hôpital situé à plus d’une heure de son domicile.  On lui prescrit alors de nombreux médicaments à visée psychiatrique y compris du xanax, mais sans réel suivi de grossesse. Lors d’une audience sur la légalité de sa détention, aucune information n’a été donnée ni sur l’état de santé du fœtus ni sur le traitement qui était imposé à Rachel. En revanche, un médecin a témoigné sur le danger de la toxicomanie de Rachel pour son fœtus affirmant qu’il fallait, par voie de conséquence la garder sous contrôle judiciaire et médical.

Comme Rachel Lowe, d’autres femmes enceintes ne peuvent compter sur le respect du secret médical, ce qui pousse parfois ces femmes à fuir les services médicaux qui devraient être là pour les aider et non les rendre plus coupables aux yeux de la loi qui ne leur fait aucune confiance à la base.

Les personnels de santé sont mis en cause dans ce rapport, pour leur empressement à collaborer avec la police et la justice plutôt que de concentrer leurs efforts pour trouver des solutions sociales et médicales pour aider leurs patientes souvent en fonction de leurs origines. Ainsi, dans près de la moitié des cas les femmes dénoncées sont des Africaines Américaines, contre 27% d’origine européenne. Lors de ces détentions, les femmes reçoivent  des soins prénataux très insuffisants ce qui met en danger la poursuite de leur grossesse sans compter le préjudice moral et psychologique infligé à ces femmes par ces décisions arbitraires. Il faut ajouter que le système carcéral américain ne suit aucune norme commune, les recommandations habituelles concernant les soins de santé prénataux  ne sont que rarement reconnues et suivies. Rappelons que le projet de santé de l’organisation Mondiale de la Santé pour l’Europe affirme par l’article 60 que «les détenues enceintes devraient bénéficier de soins de santé de même niveau que ceux fournis aux femmes en milieu libre.»

Faire une fausse couche aux États Unis peut mener à la prison. Les femmes risquent d’être privées de liberté après la naissance d’un fœtus mort-né. Encore une fois la responsabilité de la vie du fœtus incombe entièrement à la femme. Quand il y a suspicion de toxicomanie, la femme est bien souvent déclarée coupable de la mort de son enfant et les peines sont lourdes. L’utilisation de la drogue est un argument de poids, même si la toxicomanie de la femme n’est pas directement en cause dans la perte du fœtus.

Les lois fœticides ont permis de faire de l’homicide fœtal un moyen de pénalisation  des femmes. Bien qu’il n’y ait pas de lois qui permettent une privation de liberté pour telle ou telle situation de grossesse,  y compris dans les cas de toxicomanie ou d’exposition à la drogue, certaines femmes enceintes sont toujours menacées d’incarcération par ces lois fœticides. Les privations de liberté lors de la grossesse dépendent de l’état bien sûr et aussi de la couleur de la peau et la situation socio économique.

L’article montre que dans 86 % des cas les femmes menacées d’incarcération l’étaient sous le couvert de lois destinées à d’autres circonstances.

Il faut remarquer l’absurdité de certaines lois qui permettent ces recours. Au Texas la loi de fœticide a été nommée The Prenatal Protection Act  la loi de protection prénatale. La loi a été entérinée en 2003 par le gouverneur Rick Perry, ancien candidat à la présidence connu pour ses positions ultra conservatrices et anti femmes. Puis une procureur  (district attorney) Rebecca King, fit passer une lettre à tous les médecins les informant que d’après la nouvelle loi ils devaient dénoncer toute femme enceinte qui aurait utilisé des narcotiques durant sa grossesse. Il nous faut nous rappeler que les médecins français n’avaient pas cédé aux pressions  de l’armée allemande pour dénoncer leurs patients blessés pendant la guerre et avaient donc protégé le secret médical.

Les sentences sont lourdes pour les femmes qui ont eu un bébé mort-né et soupçonnées  d’avoir consommé de la drogue. L’article donne quelques exemples de ces condamnations assassines. Le cas de Regina McKnight fait partie des cinq cas symboliques de l’article. Il montre le caractère cruel et injuste de ces condamnations. Elle a été condamnée à 12 ans de prison pour la naissance de son bébé mort-né. Elle était accusée d’avoir consommé de la cocaïne. Plus tard il fut établi que le décès du fœtus était du à une infection. Trop tard ! Regina McKnight avait déjà passé 8 ans en prison quand la sentence fut infirmée.

Dans cet environnement, nous serions tentés de dire qu’il n’y a pas d’alternative au désespoir pour donner une suite au fameux TINA (there is no alternative, il n’y a pas d’alternative) de Margaret Thatcher qui a servi à justifier les politiques de privatisation, d’austérité et de réduction des dépenses publiques des années 80. Celles-ci ne sont malheureusement pas passées de mode. Il faut bien reconnaître qu’aux États Unis la police remplace les services sociaux. La justice peut même être en charge de la santé et de la psychiatrie. La corrélation d’un obscurantisme rampant, de l’entretien de la pauvreté pour des raisons économiques et de l’absence de système de santé publique ouvre la voie à la remise en cause de valeurs éthiques fondamentales et cela dans une sorte d’impunité sociale et judiciaire dont les femmes et en particulier les femmes de couleur font les frais. La prison est le point de départ car un tiers des femmes du monde qui sont en prison le sont aux États Unis. De même, il est frappant d’observer que dans une société qui impose « le tout sécuritaire » comme ordre social, cela se traduit par des actions violentes ordonnées par l’État ou les états sur des femmes enceintes  allant jusqu’à la privation abusive de liberté ce qui implique aussi le port de chaines, et tout cela  au nom de la protection du fœtus que ces femmes portent.

La privation de liberté fait encourir de grands risques à ces femmes, leur entourage et la société toute entière.

Pour information, le projet de santé de l’OMS pour l’Europe stipule dans l’article 58 « pour protéger la santé de la mère et du nouveau né, la grossesse devrait, en principe, être un obstacle à l’incarcération que ce soit avant le procès ou après la condamnation et les femmes enceintes ne devraient pas être emprisonnées, sauf pour des motifs absolument impérieux».

Le rapport et l’article démontrent que la grossesse n’est pas un obstacle mais au contraire est devenue une raison pour l’incarcération des femmes aux États Unis.

Brigitte Marti             Dan Moshenberg